La personne humaine, sujet et finalité de la culture
La culture donne une certaine identité à un être humain, en l’incluant dans un ensemble qui se caractérise par une tradition, une langue, un climat, etc. Une personne naît dans un terroir, elle hérite de valeurs culturelles qu’elle partage avec d’autres, et qui lui permettent d’interagir avec eux. La culture est constituée par cet ensemble de valeurs. Mais au cœur de tout cela, c’est l’homme qui est central, et l’homme dans toutes ses dimensions : physique, psychologique, spirituelle, morale et intellectuelle. La personne humaine est à la fois le sujet et la finalité de la culture. Les ressources, les valeurs d’une culture particulière ont toujours besoin d’être purifiées pour répondre à leur véritable finalité : permettre la croissance et le développement intégral de la personne.
Développement et réalité culturelle
Toute culture dont l’effort de développement occulterait la dignité de la personne humaine et ne s’emploierait pas à promouvoir tout l’homme et tout homme, ne serait plus fidèle à sa finalité. Et dans le même temps, le véritable développement n’est pas déconnecté de la réalité culturelle qu’il sert. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle occidental de progrès et de croissance, qui ne tiendrait aucun compte des particularismes culturels. Le développement intégral au contraire veut être un vecteur qui dynamise, élève et éclaire les différentes cultures dans le respect de ce qu’elles ont de propre. Il s’appuie sur les valeurs propres d’une culture particulière, et en même temps contribue à la purifier et la transformer. L’exemple de l’école au Bénin illustre bien la nécessité de l’ancrage culturel du développement. Toutes les infrastructures ne sont pas adaptées à tous les pays. Tout le monde se rend compte que l’école africaine ne tient pas suffisamment compte de la culture locale. Le problème de l’école en Afrique est d’être restée figée sur un modèle européen hérité du colonialisme : on a voulu transplanter une réalité culturelle dans une autre, qui ne lui correspond pas. Le niveau scolaire dans certaines écoles primaires béninoises est bien plus élevé qu’en France, mais en même temps ce système scolaire déstructure l’Africain dans ce qu’il est profondément, par une approche intellectuelle qui n’est pas suffisamment acculturée. En France s’est développée l’habitude d’une approche basée presque exclusivement sur la rationalité. En Afrique, l’approche du réel est aussi basée sur la réalité du quotidien, sur la relation, sur la place au sein de la famille au sens large. Pour adapter l’école à la réalité des cultures africaines, il faut trouver une pédagogie qui permette à cette intelligence émotionnelle d’être mise en œuvre. Mais le pédagogue occidental qui propose les programmes, lui, n’est pas conscient de cela. Aujourd’hui, le résultat est que beaucoup d’intellectuels africains sont déconnectés de leur réalité culturelle. Le modèle prôné est un modèle urbain et occidental. Nous formons des informaticiens et des avocats. Nous formons au marketing, mais nous n’avons pas un seul lycée agricole, pas un seul lycée professionnel à Porto Novo ! Or, notre culture béninoise est profondément liée à la nature. Voilà pourquoi nous avons ouvert, dans ma paroisse de Banigbe, une école Laudato Si, avec le soutien de Fidesco.
Se rencontrer pour grandir en humanité
La finalité de la culture est de permettre à chaque homme, dans le contexte d’un terroir donné, d’être vraiment ce qu’il est. La différence culturelle se situe dans la manière dont chaque culture particulière sert cette finalité. La rencontre interculturelle est donc une grande chance dans notre contexte globalisé ! La personne humaine est un être de communion, fait pour le don. Cette rencontre n’est pas motivée par un relativisme. Elle n’invite pas non plus à s’immerger dans une autre culture jusqu’à perdre son identité. Au contraire, elle n’a de sens que si elle est envisagée comme un rendez-vous de donner et de recevoir. Un document de la Commission théologique internationale intitulé Foi et Inculturation affirme : « La culture, qui est toujours une culture concrète et particulière, est ouverte aux valeurs supérieures communes à tous les hommes. L’originalité d’une culture ne signifie donc pas un repli sur elle-même, mais une contribution à une richesse qui est le bien de tous les hommes. Le pluralisme culturel ne saurait donc s’interpréter comme la juxtaposition d’univers clos, mais comme la participation au concert de réalités toutes orientées vers les valeurs universelles de l’humanité1. » C’est à partir de notre humanité commune que l’on se rencontre, pour croître ensemble en humanité. Chaque culture éclaire à sa manière ce qu’est l’homme ; chaque culture a quelque chose à apporter pour le bien de la personne humaine. Dans la rencontre, j’apprends à voir ce qui m’est propre, mais aussi ce dont j’ai besoin et que l’autre m’apporte. Je prends conscience de mes richesses, mais aussi de ce qui me manque. La rencontre agit comme un miroir, qui permet à chaque culture de vivre une conversion. Nul ne sera jamais une île : cette interaction est nécessaire, et c’est pourquoi l’Église l’encourage. La nature nous offre une belle image de l’interculturalité. Dans la nature, c’est la biodiversité qui fait la richesse. Si dehors nous ne pouvions voir qu’une seule espèce d’arbre, le monde serait bien monotone ! La diversité humaine est aussi une réalité, voulue et créée par Dieu. Cette diversité éclaire le monde et en fait la beauté. De la rencontre à la transformation La toute première disposition à cultiver pour vivre cette rencontre authentique, c’est de savoir que je vais rencontrer une personne humaine. Je suis invité à vivre cette rencontre sans complexes ni préjugés, pour qu’elle soit un lieu de découverte. Je viens vraiment TE découvrir. Si je n’ai pas ce désir de m’enrichir de quelque chose que l’autre va m’apporter, cela ne sert à rien ! Si je viens en riche, dans la position de celui qui a tout, cela ne sert à rien ! Il faut aller vers l’autre en sachant que j’ai quelque chose à recevoir de lui. Cela suppose une conversion. En Afrique, par exemple, il faut un travail de purification de la mémoire. La mémoire est blessée. Dans certains pays africains, il est difficile d’accueillir un blanc ! Ce travail de purification n’a pas toujours été mené, que ce soit collectivement ou personnellement. Dans la rencontre, il s’agit de dépasser le réflexe qui consiste à voir l’autre comme un étranger. Il n’y a pas d’étranger, il n’y a que des hommes : des hommes que l’on ne connaît pas, des hommes différents.
« La rencontre interculturelle n’a de sens que si elle est envisagée comme un rendez-vous de donner et de recevoir. »
La vraie rencontre se vit dans nos différences. Elle n’est ni un relativisme ni une juxtaposition, mais une source de transformation et d’enrichissement réciproque. J’ai été amené à vivre en Europe. Cela a modifié ma façon de voir certaines réalités. J’ai vu qu’en Afrique nous étions en retard dans certains domaines, ou que nous n’avions pas un juste rapport à certaines choses. Il est bon de se rendre compte de cela. À l’inverse, les Européens qui viennent à la rencontre des cultures africaines comprennent qu’ils ont beaucoup à apprendre dans le domaine de la relation à l’autre, ou encore du rapport à la vie. Notre culture est profondément vitaliste, tournée vers la vie. Un Africain, bien souvent, ne comprend pas que l’on puisse renoncer à la vie. Je connais des vieillards, des personnes qui sont très malades… mais toutes veulent vivre ! Nous n’avons pas non plus le même rapport à l’épreuve : nous avons traversé tant de choses que nous avons une résistance intérieure à l’épreuve, que d’autres cultures n’ont pas. Cette force vient aussi de la place de l’individu dans la société. Dans les cultures africaines, chacun a sa place pleine et entière dans le groupe. L’existence sociale est plus forte que l’existence individuelle. Lors d’une fête au Bénin, tout le monde se procure le tissu de la fête, car c’est celui que le groupe a choisi. Même si je n’ai pas mangé, je vais tout faire pour acheter ce tissu : je veux faire partie d’un tout. Mon appartenance est plus forte que le fait d’avoir mangé. C’est un choc pour les volontaires ! Mais pour un Africain, vivre, c’est vivre avec les autres ! Mon premier combat, c’est le combat pour être avec les autres. Il y a dans cette attitude des choses à purifier, bien sûr. Mais l’Occident a aussi beaucoup à apprendre de ce primat de la relation sur l’individu. En Afrique, quand on parle de l’Église, on emploie l’expression « Église-Famille de Dieu ». Si cette famille-là est vraiment centrée sur le Christ, la vie fraternelle devient une réalité très forte !
De la standardisation des cultures à la rencontre interculturelle
La rencontre interculturelle authentique est une réponse aux défis de notre monde globalisé. La globalisation telle qu’elle est vécue aujourd’hui se caractérise souvent par un nivellement de tout, une uniformisation des références, et l’imposition d’un modèle. Devons-nous aspirer à avoir une seule culture universelle uniforme ? À cette question, l’Église répond clairement : non. Mais en même temps, comment construire une culture globalisée qui soit aussi une culture de la rencontre, où chaque culture particulière trouve sa place ? La globalisation traduit un besoin de l’humanité, un besoin de références communes. Comment trouver une référence commune respectueuse de l’identité de chacun ? Le regard que l’Église nous invite à poser sur la personne humaine, et la notion même de développement intégral, sont porteurs de valeurs universelles. Aujourd’hui, on le voit bien : les diocèses, les congrégations missionnaires travaillent partout dans le même sens, avec le même zèle. Et pourtant, les missions ne se ressemblent pas : elles sont pleinement intégrées et enracinées dans la culture locale. L’erreur de la mondialisation à l’heure actuelle est de placer l’économie avant tout. Il est important pour nous de transformer de l’intérieur cette vision de l’homme que véhicule la globalisation, qui se pense presque exclusivement en termes de croissance économique. Cet angle exclusif ne peut constituer une référence culturelle, un repère commun pour l’homme. Le but que nous devons viser n’est pas un but économique, mais humain et spirituel : l’humain doit être élevé et formé, pour pouvoir développer son terroir et son pays. Voilà ce qui permet de parler, en positif, de mondialisation ! C’est ce que fait l’Église dans ses encycliques sociales. La doctrine sociale de l’Église contribue au respect de la liberté religieuse, au progrès des sociétés, à l’instauration de la démocratie, au développement intégral. La personne humaine est au cœur de cet enseignement. L’Église réalise ainsi un vrai travail de globalisation, afin que chaque homme, dans sa culture propre, développe et apporte ce qu’il a de meilleur au concert des nations.